Travailler encore moins… vraiment ?!
Honnêtement, la première fois que j’ai entendu parler de la semaine de 4 jours, je me suis dit “non mais et puis quoi encore ?!”. Déjà que les 35 heures avaient été bien compliquées à intégrer à l’époque dans mon entreprise, je me suis demandé jusqu’où on pouvait aller dans la feignasserie.
Mais tout est toujours plus compliqué et subtil qu’une analyse de café du commerce. Il faut en effet changer son angle de vue et regarder le sujet selon la culture du résultat : ce qui compte, c’est le niveau de productivité final et le bénéfice réel de l’entreprise. Après tout, si en travaillant 4 jours au lieu de 5 le salarié est bien plus productif, tombe moins malade, et permet en plus des économies, alors la question mérite réellement de se poser.
Alors qu’est-ce que la semaine de 4 jours ? L’idée est toute simple : travailler autant (35 heures), voire un peu moins (32 heures), mais sur 4 jours au lieu de 5. Et en gardant le même salaire.
Dès 1993, Antoine Riboud, le fondateur de Danone, avait fait la Une du “Monde” avec ce titre : “il faut descendre à 32h par semaine”. Aujourd’hui, des centaines d'entreprises très diverses ont essayé et ont obtenu des résultats qu’ils considèrent comme positifs : LDLC, Basecamp, Microsoft Japon…
100% du salaire pour 80% du temps et 100% des résultats ?
De belles promesses.
Mais est-ce vraiment une bonne idée pour accélérer son business ? Et pour une TPE/PME, est-ce que cela peut avoir du sens ?
De nombreux tests ont été dirigés par l’association “4-Day-Week” qui cherche à convaincre les entreprises grâce aux données récoltées lors des tests. Pour un souci de clarté, je vais me limiter à la plus récente qui s’est déroulée en Allemagne à peu près à partir de début février sur plusieurs mois.
45 entreprises de tailles différentes et représentant des secteurs divers et variés ont participé.
VoilĂ ce qui ressort des sondages et des interviews auprès des collaborateurs :Â
Moins d’heures supplémentaires ;
Une augmentation en moyenne de 8% du CA ;
La productivité a augmenté grâce à une meilleure concentration et moins d’absentéisme ;
Plus d’activité physique ;
Meilleur sommeil ;
Baisse du stress ;
Plus de temps avec les familles.
Côté français, Laurent de la Clergerie (en photo avec moi plus haut), fondateur et dirigeant de LDLC, a mis en place dès 2021 la semaine de 4 jours après avoir vu les résultats du test de Microsoft au Japon : 40% d’augmentation de la productivité, 20% de baisse de la consommation d’énergie, 50% de réunion de moins de 30 minutes, économies sur les frais de déplacement…
J’ai eu l’opportunité d’en discuter avec lui en septembre dernier et lui aussi avait pourtant de sérieux doutes au départ. S’il voyait le potentiel de cette approche pour créer un environnement de travail plus favorable, il était persuadé que cela allait lui coûter plus cher à la fin. Surtout qu’il avait fait le choix de partir sur 32 heures au lieu de 35 (pour des soucis de simplicité).
MalgrĂ© les avertissements de ses pairs (on imagine bien ce que tout le monde a pu lui dire sur le sujet…), il a suivi son instinct et a fait le grand saut.Â
Et au final, l’impact chez LDLC a été bien au-delà de ses espérances !
Sa productivité n’a pas baissé, bien au contraire. Il explique dans chacune de ses interviews que la cadence a naturellement augmenté sans qu’il ait eu besoin de l’exiger. A part dans ses petites boutiques, il n’a pas eu besoin non plus de recruter de nouveaux collaborateurs.
Les employés étaient moins fatigués, plus motivés et ont été autant (voire plus) productifs en 32 heures sur 4 jours que 35 heures sur 5 jours. LDLC a beaucoup de manutention et travaux nécessitant que les collaborateurs soient en bonne forme physique et morale. L’impact de pouvoir se reposer 3 jours s’est transformé en une forte accélération des cadences les 4 autres jours.
Dans ma dernière newsletter, j’évoquais justement que le but ultime d’un leader, c’est que les personnes dont il a la charge viennent avec le sourire au travail avec une motivation au maximum.
Or, la semaine de 4 jours amène les collaborateurs Ă mieux se reposer. Ils arrivent gonflĂ©s Ă bloc, heureux du temps passĂ© avec leurs familles et reconnaissants envers leurs entreprises qui leur offrent ce luxe. Â
Ils arrivent donc plutĂ´t avec le sourire.
Pour vous donner un chiffre, 90% des collaborateurs ayant participé à l’expérience de l’association 4 Day Week ont souhaité garder ce nouveau rythme.
Et quid des cadres ? Chez LDLC tout le monde peut prétendre aux 4 jours. Mais tous les cadres (non assujettis à des horaires précis) n’ont pas forcément adhéré. Certains continuent à travailler 5 jours, au bureau ou chez eux. Ce qui compte, c’est de rester souple et de ne pas non plus vouloir faire rentrer des carrés dans des cercles.
Le bénéfice ultime au-delà de créer un fort engagement interne ? La fidélisation et l’attractivité de la marque employeur.
Peut-être vous rappelez-vous de Pimpant, une entreprise venue pitcher leur projet lors de la 4e saison de “Qui veut être mon associé”. Malgré leur petite taille, ils avaient adopté une politique très souple de semaine de 4 jours et de télétravail. Sur le plateau, je n’avais pas forcément été convaincu par cette approche aussi tôt, surtout avec leur nécessité d’avoir une ligne de production industrielle.
Ce qui est certain, c’est qu’après la diffusion, ils ont croulé sous les demandes de rejoindre l’entreprise ! L’attractivité de la semaine de 4 jours est évidente, et dans un contexte ou recruter est parfois très difficile, il faut mettre toutes les chances de son côté.
La transition vers une semaine de 4 jours nĂ©cessite plusieurs mois de prĂ©paration : rĂ©organisation des planning, recrutement potentiel de nouveaux collaborateurs, communication en interne…Â
Il est possible que la situation dans laquelle est votre entreprise à ce moment ne se prête pas à cette transformation, notamment si vous êtes dans une période critique ou instable. Ce genre de changement a d’importantes conséquences dans le fonctionnement de la boîte et mieux vaut d’abord bien se consolider.
De mĂŞme, tous les secteurs et types d’activitĂ© ne sont pas forcĂ©ment adaptĂ©s Ă ces contraintes. L’industrie, en tant que fournisseur, peut ĂŞtre contrainte par des exigences de la part de leur client qui ne sont pas ouvertes Ă la souplesse de la semaine de 4 jours. Le domaine de la santĂ©, aussi, peut ĂŞtre soumis Ă des urgencesÂ
Le problème peut être réglé en décalant les rythmes, une partie lundi-jeudi, une autre mardi-vendredi par exemple. Mais ça peut rajouter des complexités et un risque : vous, le dirigeant, vous pouvez vous retrouver, seul, à garder le rythme de 5 jours (mais une 5e journée au bureau, seul et tranquille, peut aussi d'avérer extrêmement productive).
LDLC, pour encore les citer, est une entreprise tertiaire avec 60% de cadres, la mise en œuvre était bien plus facile. Preuve en est que les franchises, elles, éprouvent des difficultés à faire la transition. Les petites boutiques peuvent avoir des problèmes de gestion des vacances au sein de leurs locaux.
Et quid du nombre d’heures ? Faut-il aussi le baisser ?
En Belgique, oĂą le temps de travail est de 38 heures, le passage Ă la semaine de 4 jours sans pour autant rĂ©duire le nombre d’heures total crĂ©e une situation pas autant apprĂ©ciable. Les journĂ©es de 9,5 heures peuvent ĂŞtre, Ă juste titre, Ă©puisantes.Â
Et si on le baisse, doit-on baisser le salaire en conséquence ?
En Belgique toujours, Desigual a mis en place la semaine de 4 jours en passant de 39.5 heures à 35 heures (soit une baisse de 13% du temps de travail), mais en imposant une baisse de salaire de 6,5%. Pas toujours simple à faire passer...
D’autres entreprises ont une approche mixte : passer aux 4 jours mais en gardant les 5 jours. C’est-à -dire offrir plus de congés et de jours de récupération dans le mois.
Mais en restant ouvert 5 jours, on perd l’avantage de certaines industries (notamment le BTP) de fermer une journée entière, du moins pour les “productifs” : pas de panier repas, pas de transport sur les chantiers, pas de défraiement, etc. Une véritable économie pour au final un chantier qui avance aussi vite grâce à des ouvriers et artisans plus en forme et motivés.
Je défends un modèle complètement libéral, où chacun devrait faire ce qu’il veut. Si la semaine de 4 jours peut-être pour certains un véritable moteur de croissance alors il faut clairement que ce soit possible, sans pour autant l’imposer aux autres.
Travailler 39 heures, 35 ou 32. 5 jours ou 4 jours. Télétravail ou pas. Chaque dirigeant devrait pouvoir choisir l’approche qui lui convient le mieux. Donc de mon point de vue : oui à la semaine de 4 jours, à condition que l'on puisse aussi proposer la semaine de 6 jours, ou la semaine de 45 heures.
Au marché ensuite de décider !