Dodo Hotel
(ce texte est un extrait de mon livre Entreprendre pour être libre)
Les travaux reprennent et nous travaillons d’arrache pied pour finaliser la construction de l’hôtel et installer ses équipements. Nous ne sommes plus qu’à quelques semaines de l'ouverture quand un dimanche, à six heures du matin, je reçois un appel sur mon portable. C’est Vladimir, conducteur des travaux :
- Eric ! You come hotel now !
- Why ?
- Big pizdec !
- Hein ?
- Big problem ! You come hotel NOW !”
Ouh la… Je m'habille en catastrophe, prévient Frédéric et me précipite à l'hôtel. J’arrive sur place et là, en effet, big problem ! Je rentre dans le lobby. C'est la rivière enchantée.
Il y a de l'eau partout.
Vladimir me dit que tout est “pizdec”.
Il m’emmène vers l'aile ouest du bâtiment, ouvre la porte et là, je vois des cataractes d'eau tomber du plafond. Tout ce qui était accroché au mur est maintenant par terre, la peinture dégouline, les agencements en bois dans les chambres ont déjà trouvé le temps de gonfler au point d'éclater.
C’est la catastrophe. Je rentre en dissociation cognitive. Je refuse d’accepter la réalité de ce que je vois, et pendant quelques minutes je suis réellement persuadé que je suis en train de rêver et que je vais me réveiller. Mais je dois bien me rendre à l’évidence, c’est la merde et je dois y faire faee.
Une canalisation située au niveau du dernier étage a rompu sous la pression suite à une mauvaise soudure, inondant complètement l'aile ouest de l'hôtel. L'eau s'est ensuite propagée au rez-de-chaussée mais Frédéric est déjà en train d’essorer et éponger tout ce qu’il peut.
Nous analysons l’ampleur des dégâts : l'aile ouest est ravagée, mais le reste de l'hôtel a échappé en très grande partie au désastre.
On installe une cellule de crise et mettons en place un plan d'urgence pour pouvoir assurer une ouverture le jour prévu : l’aile ouest sera fermée au public le temps de la rénover. Finalement, ça aurait pu être bien pire.
Devant l’adversité, j’ai réagis par le recours à l’action. Pas le temps de réfléchir, de se morfondre, il faut agir. Trouver des solutions et les implémenter. Devant toute peur, devant tout problème, c’est ainsi que je me comporte : je rentre dans l’action.
La première année d'exploitation est un succès incroyable.
L'hôtel fait le plein, nous sommes à plus de 90 % d'occupation pendant l'été. Avec Frédéric, on se dit qu’on tient le bon bout et qu’on va rapidement pouvoir passer à la phase deux de notre projet : l’expansion européenne du Dodo Hotel ! Nous allons malheureusement vite déchanter.
L'explosion de la bulle économique immobilière de 2008 finit par atteindre la Lettonie et en 2009, c'est l’hécatombe. Les touristes, principalement des irlandais et des anglais, ne viennent plus à Riga car ils n'ont plus d'argent. La ville est désertée, l'économie se met à l'arrêt et la fréquentation de l'hôtel tombe en chute libre.
Frédéric, car c'est essentiellement lui qui a assuré la gestion de l'hôtel à partir de ce moment-là, va se battre pour passer le cap et gérer l’énorme crise qui nous tombe dessus. Je dois remettre un petit peu d'argent pour garder les comptes à flot, mais au final nous ne nous en sortons pas trop mal et arrivons à rembourser nos mensualités de crédit.
L'histoire de Dodo Hotel est une sorte d'ascenseur émotionnel géant. Frédéric va travailler d'arrache pied pour assurer la survie de l'hôtel, maximiser les revenus et limiter les charges. Après plusieurs années d’efforts, il arrivera à redresser la barre et en 2013, on retrouvera des couleurs pour faire à nouveau une belle année. Là, on se dit : “ça y est, c'est bon, maintenant, place au profit” et patatra… 2014, invasion de la Crimée, sanctions contre la Russie et les Russes, qui faisaient partie des rares étrangers à venir en Lettonie, ne sont plus les bienvenus.
À nouveau, le business s'écroule.
À nouveau, Frédéric rame comme un forcené.
Après plusieurs années, encore une fois, il réussit à remonter la pente, instaure de nouvelles sources de revenus et développe une clientèle B2B. Et alors que nous pensions nous en sortir, en 2020, nouvelle catastrophe, le COVID. L'hôtel se trouve dans une situation intenable. Mais encore une fois, grâce au travail de Frédéric, nous passons ce moment difficile. 2021 reprend des couleurs. Nous avons de l'espoir pour la suite, mais début 2022, patatra… C’est la guerre entre l’Ukraine et la Russie. La situation économique mondiale se désagrège et l'impact sur l'hôtel est violent. Les coûts du gaz explosent en Lettonie et chauffer l'hôtel devient impossible. Heureusement, Frédéric, toujours lui, ne se laisse pas abattre et va sortir d’un chapeau des chaudières bois en container. Il les connecte à l'hôtel et en quelques semaines à peine, on passe du gaz au bois, nous permettant de continuer les opérations et passer l’année.
Au moment où j'écris ces lignes, en 2023 l'hôtel a finalement retrouvé des couleurs et n’est pas loin de faire sa meilleure année. Je suis donc assez confiant sur le fait que nous allons enfin pouvoir commencer à récupérer un retour sur notre investissement. Il serait temps, 15 ans après…
Cependant, à chaque fois que j’ai commencé à penser que c’était gagné, une nouvelle catastrophe nous attendait au tournant. J’espère que cette fois, ce sera un truc un peu stylé, genre l’apparition de Godzilla dans la mer Baltique !
Entreprendre pour être libre, disponible en livre (papier, ebook) et livre audio