Beaucoup d’entrepreneurs rêvent de faire un exit.
Céder leur boîte, encaisser un gros chèque, acheter une maison au soleil…
Se dire qu’ils ont gagné, qu’ils peuvent lever le pied et “sortir du ring”.
Si vous caressez le même rêve…
Lisez ce qui suit, car cela pourrait remettre en question vos objectifs.
Nous sommes en 2000, Terrance Watanabe dirige depuis 23 ans la société fondée par son père : Oriental Trading Company.
Cette année-là, il choisit de revendre toutes ses parts pour encaisser un chèque de plusieurs centaines de millions de dollars…
Un chèque qui aurait pu lui assurer une sécurité financière pour le restant de ses jours.
Je parle au conditionnel parce que Terrance est tombé dans le plus gros piège qui s’ouvre devant les entrepreneurs qui viennent de vendre leur boîte : arrêter de bâtir.
Au lieu d’investir et de continuer à créer de la valeur avec ce pactole, Terrance a choisi de quitter le jeu entrepreneurial pour aller jouer sa fortune au casino.
Il devient VIP dans les plus gros casinos de Las Vegas, les hôtesses l’adorent, les serveurs l’appellent par son prénom…
Les casinos créent même un programme de fidélité spécialement pour lui appelé “Chairman”, lui offrant des billets de concerts personnalisés et des remboursements en espèces sur ses pertes.
Et pour cause…
Entre la revente de l’entreprise de son père en 2000 et 2010, Terrance aurait misé plus de… 825 millions de dollars à Las Vegas.
Et perdu près de la moitié.
(Alors oui, ça valait bien quelques tickets de concert…)
En 2017, il a même dû lancer une campagne de financement participatif pour payer le traitement de son cancer de la prostate.
Un comble d’en arriver là pour un entrepreneur qui a fait un exit à 9 chiffres.
Je vous vois déjà le juger, vous dire "quel imbécile".
Ce n'est pas la réaction que j'ai eue.
À la place, j'ai reconnu quelque chose de familier.
Terrance a vécu ce que vivent beaucoup d'entrepreneurs après un bel exit : ils tombent dans le vide.
Comme moi en 2007, après la vente de ma première entreprise.
Du jour au lendemain, plus de défi, plus de bataille à mener.
Et c'est là que le problème commence.
Parce qu'à la base, on ne devient pas entrepreneur pour s'enrichir.
On le devient parce qu'on a cette rage de vaincre, ce besoin viscéral de construire.
Une énergie ancrée si profondément en nous qu'elle ne disparaît pas une fois le chèque encaissé.
Alors quand elle n'a plus d'exutoire légitime, elle en trouve un autre… parfois destructeur.
Terrance l'a canalisée dans les jeux d’argent.
Moi, j'ai trouvé le poker.
Mais contrairement aux machines à sous, le poker m'offrait exactement ce dont j'avais besoin :
Des règles à maîtriser, une stratégie à affiner, des adversaires à battre.
Un substitut d'entrepreneuriat parfait.
Pendant deux ans, je m'y suis donné à fond.
Je pratiquais ce sport avec la même discipline que pour monter une entreprise.
Jusqu'à ce que l'évidence me frappe : le poker, c'est 99% de frustration pour 1% de victoire.
Parce que dans ce sport, seule la victoire compte. Et celle-ci se fait trop rare en tournoi.
Plus troublant encore : au bout de deux ans, qu'avais-je construit ?
Rien… Des jetons, quelques trophées qui prenaient la poussière dans mon bureau…
Et comment expliquer à mes enfants que papa gagnait son argent en jouant aux cartes ?
Le poker m'avait donné de l'adrénaline et de l’argent, mais pas l'essentiel : le sens.
Car voici une vérité qu'on ne vous dit jamais : l’adrénaline et l'argent ne sont que le carburant de l'entrepreneur.
Le véritable moteur de l’entrepreneur, c’est sa mission.
Et quand le moteur s'arrête, on peut avoir tous les millions du monde...
On roule sur la réserve.
Terrance et moi avons connu le même vide post-exit : une chute brutale dans l'absence de projet, de défi, de bataille à mener.
Tous les deux, nous avons cherché à combler ce vide.
Lui dans l'adrénaline des casinos, moi dans la stratégie du poker.
La différence avec lui, c'est que j’ai eu la chance de comprendre à temps ce qui me manquait vraiment : bâtir un projet qui avait du sens.
C’est pourquoi j’ai décidé en 2010 de quitter définitivement les tables de poker pour lancer un nouveau projet en France : Prixing.
Mais c’est là le début d’une autre histoire, que vous connaissez déjà peut-être si vous avez lu mon livre.
S'il n'y a qu'une chose à retenir de l'histoire de Terrance, c'est que l'exit n'est pas la fin du jeu entrepreneurial. C'est un piège.
On croit avoir gagné le jeu en encaissant le chèque.
Mais en réalité, on vient de perdre sa raison de se lever le matin.
Au fond, un entrepreneur qui arrête de bâtir ne devient pas libre.
Il devient vulnérable.
Parce que la liberté, pour un entrepreneur, ce n'est pas de pouvoir “sortir du jeu”.
C'est de pouvoir choisir son prochain combat.
Et ce combat doit avoir du sens.
Sans mission qui le dépasse, même avec des millions sur son compte, l’entrepreneur arrête de vivre.
Alors félicitez-vous chaque matin de vous lever avec une mission vrillée au corps, et prenez un maximum de plaisir !
Éric